La justice internationale ordonne au Japon de stopper la chasse à la baleine dans l'Antarctique

Sous couvert de recherches scientifiques, Tokyo s'autorisait une pêche commerciale interdite

Excellente nouvelle pour les baleines : lundi 31 mars, la Cour internationale de justice de La Haye, organe judiciaire des Nations unies, a interdit au Japon de continuer à les chasser en Antarctique. Les pêcheurs nippons sont les plus importants prédateurs au monde de ces grands cétacés, et les seuls à les poursuivre jusque dans leur sanctuaire de l'océan Austral.

La Cour " ordonne au Japon de révoquer tout permis, autorisation ou licence déjà délivrés pour mettre à mort, capturer ou traiter des baleines dans le cadre de Jarpa II - son programme de recherches - et de s'abstenir d'accorder tout nouveau permis ". Juridiquement, en effet, ce n'est pas sur la défense de la faune marine que les seize juges présidés par le magistrat croate Peter Tomka ont fondé leurs conclusions. Celles-ci sanctionnent la mauvaise foi du Japon qui prétend capturer et dépecer plusieurs centaines de baleines chaque année au nom de la recherche scientifique.

L'arrêt – qui ne concerne que l'Antarctique – est " définitif, sans appel et obligatoire ".

La pêche commerciale de la baleine est interdite par la Commission baleinière internationale. Un moratoire a été adopté en 1986. Peu après l'avoir signé, dès 1987, le Japon s'est lancé dans la chasse scientifique dans l'océan Austral. Le pays mène en outre des activités de pêche plus réduites dans le Pacifique nord.

La Cour de justice a démonté point par point l'argument scientifique avancé par l'Archipel. En quoi tuer des centaines de cétacés par an a-t-il fait progresser la connaissance de ces populations et de l'Antarctique, alors que Tokyo ne peut avancer que deux études scientifiques soumises à des comités de lecture depuis 2005 ?

La Cour reproche au Japon de n'avoir testé aucune autre façon non létale d'étudier les cétacés. Elle pointe en outre " le caractère illimité dans le temps " de ces recherches et l'absence de coopération internationale. Enfin, elle s'interroge sur l'augmentation des permis spéciaux que le pays s'accorde à lui-même. Les quotas de rorquals de Minke en particulier étaient de 350 par an durant le premier programme de recherches Jarpa, entre 1988 et 2006, avant d'atteindre 850 à 935 spécimens la période suivante.

Toutes espèces confondues, cette chasse supposée enrichir les connaissances sur les cétacés a exigé des taux de capture de plus en plus élevés : de 300 à 400 dans un premier temps, ils sont passés à 1 035 depuis 2007. Ils sont si élevés que les pêcheurs ne parviennent même pas à atteindre ces quotas.

Leurs campagnes à but scientifique sont en outre largement financées par la vente de la viande des cétacés, qui se retrouve sur les étals des marchés, voire dans la filière de nourriture pour chiens

Le Japon doit ses déboires à l'Australie, qui avait saisi les juges en juin 2010. A Canberra, le gouvernement de l'époque était fermement décidé à faire respecter l'esprit de la Convention baleinière. La Nouvelle-Zélande, signataire du texte elle aussi, a poussé dans la même direction pour mettre un terme au régime d'exception dont jouit le Japon.

L'affaire a été bouclée en à peine quatre ans. Selon les juristes, cette rapidité est le signe d'une détermination réelle de la part de la Cour internationale à faire appliquer les traités. Auparavant, moult tentatives de pression et de conciliation avaient eu lieu au sein de la Commission baleinière, où siègent 88 pays. En vain.

En mer, les militants de Sea Shepherd combattent depuis des années les baleiniers japonais en leur coupant la route du Grand Sud. L'ONG, qui se félicite d'avoir ainsi sauvé 750 baleines lors de sa dernière campagne dans l'océan Austral, s'est immédiatement réjouie de l'arrêt de la Cour. " Si les Japonais ne recommencent pas, a déclaré Paul Watson, qui dirige l'organisation, alors nous serons en mesure de recentrer nos efforts contre la chasse à la baleine pratiquée par les Norvégiens, les Islandais dans l'Atlantique. " Avec les îles Féroé, ce sont les derniers pays amateurs de baleines à refuser officiellement le moratoire contre la chasse commerciale.

Dès l'annonce de la décision de la Cour internationale de justice, le porte-parole du ministère japonais des affaires étrangères, Noriyuki Shikata, a déclaré que son pays " regrettait et était profondément déçu " par cette décision, mais qu'il s'y conformerait.

" La chasse à la baleine a essuyé une défaite totale et inattendue, écrit le quotidien japonais Asahi. Le regard du monde sur la pêche dite scientifique était plus sévère que les Japonais le pensaient ", conclut-il.

Pour poursuivre la chasse, le Japon a fait valoir jusqu'à présent une tradition séculaire de certains ports et une consommation bien ancrée de la chair de baleine. " L'Occident a un temps décimé les mers en ne prenant des baleines que leur huile, arguent les défenseurs de la chasse. Nous, nous en avons fait un élément de notre nourriture. " Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la viande de baleine était servie dans les cantines scolaires, alors que le pays, ruiné, avait besoin de protéines.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui et rares sont les Japonais de moins de 40 ans qui sont amateurs de ce mets servi dans une poignée de restaurants spécialisés. En 1962, le Japon consommait 250 000 tonnes de viande de baleine mais seulement 13 000 tonnes en 1985 – un an avant l'interdiction de la pêche commerciale. Aujourd'hui, la consommation annuelle du cétacé ne dépasse guère 40 grammes par personne, contre 2,3 kg avant le moratoire.

La farouche résistance du pays aux pressions internationales pour qu'il mette fin à la pêche n'est pas exempte de considérations politiques. Le port baleinier de Shimonoseki est le fief électoral du premier ministre Shinzo Abe. Cette chasse à la baleine a par ailleurs pris un tour émotionnel. Même les défenseurs des baleines ne comprennent pas pourquoi le reste du monde conteste ainsi la tradition japonaise, suscitant des réactions nationalistes.

Martine Valo avec Philippe Pons (à Tokyo)

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