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AFFAIRE LAMBERT

La question du partage des pouvoirs entre médecins et juges est posée

LE MONDE | 17.01.2014 à 14h12 • Mis à jour le 18.01.2014 à 10h16 |Par François Béguin et Laetitia Clavreul

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Un seul juge se penche d’ordinaire sur les requêtes en référé-liberté. Mais« vu le caractère inhabituel » de la question soulevée, c’est une formation collégiale de neuf magistrats qui a examiné l’affaire Vincent Lambert au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Le fait que le tribunal impose à une équipe médicale de suspendre une décision d’arrêt des traitements d’un patient est une première. Jamais, d’ailleurs, un tribunal n’avait eu à se prononcer sur une question de fin de vie à ce stade. Seules des cours d’assises ont été amenées, a posteriori, à en traiter.

La suite aura son importance. Si le Conseil d’Etat est saisi en appel et qu’il confirme la décision du tribunal, sa décision fera jurisprudence. Si la procédure s’arrête là, cela constituera un précédent.

L’affaire soulève le problème de l’absence de directives anticipées pour préciser les souhaits du patient, ainsi que plusieurs questions autour de la loi Leonetti. Le député UMP, lui-même, a dit prendre acte « avec surprise » de l’ordonnance du tribunal, jugeant qu’elle « risque de fragiliser la loi actuelle ».

Médecins ou juges, qui a le dernier mot ?

C’est la place même du médecin qui paraît remise en cause, le tribunal ayant jugé que l’obstination déraisonnable n’était pas établie, pas plus que la volonté du patient de ne pas vivre dans un état de dépendance. Des appréciations qui relèvent, dans la loi, de la compétence du corps médical.

Raison pour laquelle le docteur Véronique Fournier, du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin, trouve la décision des juges contestable : « C’est incroyable, et surtout très grave qu’un tribunal se substitue aux médecins, et contrôle leur prescription. » Ce médecin, qui a participé, pour l’épouse, à la procédure collégiale lancée par le CHU de Reims, voit là « un mélange des rôles, et une confusion des pouvoirs ».

« Décider de la légalité, c’est le métier des juges, rappelle au contraire François Vialla, professeur de droit médical. Mais il est clair que cette fois, la mission était nouvelle : ils étaient interpellés non sur un appel d’offres ou tout autre chose, mais sur la vie d’une personne. »

Les médecins voient deux dérives possibles après cette décision : la judiciarisation des affaires de fin de vie, et la poursuite des pratiques d’acharnement thérapeutique, dont la loi Leonetti voulait préserver le patient. C’est ce que craint par exemple la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Le risque est qu’à l’avenir, par facilité, les médecins rechignent à se lancer dans des réflexions sur l’opportunité d’un arrêt de traitement.

Quel impact pour les patients en état pauci-relationnel ?

La décision du tribunal ne concerne pas le handicap en général mais les personnes qui ne sont pas en mesure d’exprimer leur volonté, et particulièrement ceux en état dit pauci-relationnel (de conscience minimale) comme Vincent Lambert, ou végétatif. Les magistrats ont estimé que « s’agissant d’un patient en état pauci-relationnel pour lequel ne peut être exclue l’existence d’une activité émotionnelle au-delà du simple réflexe organique, la poursuite des soins et des traitements n’a alors pas pour finalité le seul maintien artificiel de la vie biologique ».Autrement dit, ces patients pour lesquels le traitement peut se résumer à une nutrition artificielle, n’entrent pas dans le cadre de l’acharnement thérapeutique. Un point intéressant sur le plan juridique, mais qui fait débat.

« Cette décision va rassurer les équipes qui s’occupent de tels patients »,estime le neurologue Xavier Ducroq, qui représentait les parents dans la procédure collégiale. Selon lui, si l’équipe médicale avait gagné, tous ces patients auraient pu être jugés dans une situation d’« obstination déraisonnable ». Cependant, il faut rappeler que les questions d’arrêt des traitements ne sont pas tranchées en général, mais toujours au cas par cas par les équipes médicales.

Parents ou conjoint, qui doit être écouté ?

Le législateur a donné au médecin le rôle du décideur, afin d’éviter de faire porter ce poids aux proches. La famille, cependant, doit être consultée, dit la loi. Rachel Lambert, l’épouse de Vincent Lambert, avait accepté de le « laisser partir », pas ses parents, qui ont saisi la justice en mai 2013, s’estimant tenus à l’écart. C’est ce qui a motivé une première ordonnance d’annulation de l’arrêt des traitements. Le tribunal administratif avait estimé que c’est l’ensemble de la famille qui doit entrer dans la discussion.

L’affaire Lambert a donc lancé un débat sur la question d’une éventuelle hiérarchie. « La loi du 22 avril 2005 fait une place à la famille. Mais qui est-elle ? Les descendants ? Les parents ? Le conjoint ? La loi est imprécise », a dénoncé l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. En mai, M. Leonetti avait estimé que la loi, dont l’une des clés est le dialogue, ne peut pas tout encadrer.

La vie doit-elle primer en cas de doute ?

« Dans la loi Leonetti, la question la plus importante, c’est celle de la mise en évidence de la réalité et de la profondeur de la volonté du patient. Le tribunal a statué là-dessus », explique Denys de Béchillon, professeur de droit public. Ce que les juges ont dit, selon lui, c’est que « le doute profite à la vie ». La justice a appliqué « le principe de précaution »,s’est félicité l’avocat des parents, Jérôme Triomphe. Une position qui fait débat. « Dire que la vie doit l’emporter en cas de doute, c’est un principe moral, ce n’est pas une règle juridique », relève Me Bruno Lorit, avocat du neveu.

Quel impact pour le débat voulu par François Hollande ?

« Cette décision rend impérieuse une clarification de la loi Leonetti sur le maintien artificiel de la vie. Cela ne peut être fait que par un texte qui, justement, est annoncé », commente M. Vialla. Mais la complexité du débat sur un seul cas, alors que les situations de fin de vie sont fort diverses, montre à quel point la tâche s’annonce ardue pour le gouvernement.

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